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Extraits de mon livre

Salut l'artiste

L'artiste n'est artiste qu'à la condition d'être double et de n'ignorer aucun phénomème de sa double nature"

Charles Baudelaire

 
Par Christian Wolzfeld



Mon ami Jean fête donc ses cinquante ans, moment important, qui souvent constitue un césure dans la vie d'un homme, un temps propice pour se pencher sur son passé et scruter son avenir.

Avec la cinquantaine s'entrouvre une époque privilégiée pour dresser un bilan (du moins provisoire) de l'oeuvre déjà accomplie, des réussites et des échecs, se remémorer les instants intenses des vraies rencontres et des dialogues qui insinuent le doute dans les certitudes patiemment accumulées au fil des expériences riches d'engagement pugnace, de joies, mais aussi des déboires, esquisser les prochaines aventures dans lesquelles on est tenté de s'engourffer, réfléchir sur son rapport au monde et aux autres, mais aussi à soi: la question de l'identité, déjà virulente à ladolescence, est soudain ravivée, alors que l'on quitte définitivement les rives de la jeunesse.

Jean m'a donc demandé de rédiger une contribution pour l'ouvrage qu'il publie à l'occasion de cet anniversaire, ô combien symbolique. Les réalités du monde sont difficiles à saisir, les relations sociales et la nature humaine ne le sont pas moins, on en conviendra. Nos savoirs sur les hommes restent, en effet, par essence fragmentaires et souvent contradictoires. Penser la complexité revient à mettre nos constructions mentales en perspective et comprendre que chaque éclairage particulier n'est que partiel et partial à la fois. Alors prétendre vouloir décrire qui est Jean Fetz s'avérerait somme toute assez présomptueux. Je me contenterai par conséquent d'essayer d'esquisser qui et ce qu'il est pour moi. Or, à la lumière de la réflextion, même cette ambition réduite se révèle peu aisée à concrétiser. L'image et l'opinion que je me suis forgées de cet ami si proche et si lointain à la fois ne sont, en effet, pas fixées de manière définitive, mais sont continuellement reconstruites au fil de mes expériences et - je dois l'avouer - de mes humeurs. Mon approche consitera donc à décrire, au gré de mes souvenirs, un certain nombre de scènes qui mettent en lumière différents aspects de cette figure haute en couleurs, avec l'espoir qu'émergera de ces tableaux inachevés, non pas l'image d'une personnalité multiple, mais bien celle d'un personnage à facettes variées.

Toute relation commence bien évidemment par une première rencontre. Nous sommes en 1995, au Centre d'intégration scolaire. J'accompagne Michel Putz, directeur adjoint de l'Education différenciée. Travaillant à ce moment-là en qualité d'instituteur d'enseignement spécial dans un centre régional du sud du pays, j'ai tout de suit accepté sa proposition d'intervenir une fois par semaine au centre de Cessange, ce dernier n'ayant pas d'instituteur à sa disposition.

Me voilà donc confortablement installé sur un canapé dans la petite salle de réunion. Michel me présente, j'explique ma vision des choses. Jean, lui ne dit pas grand-chose. Derrière ses grandes lunettes rondes, je sens un regard inquisiteur qui me transperce. Je suis quelque peu perplexe, sinon impressionné, moi, dans mon traditionnel veston-cravate, lui, enveloppé dans un grand pullover en laine, la barbe en bataille et les sourciles froncées. Au fil de la discussion, il lance quelques réflexions qui me font dresser l'oreille. J'ai en face de moi un homme qui sait ce qu'il veut, profondément attaché à sa mission qu'il s'est assignée: soutenir les jeunes qui au cours de leur parcours toujours tourmenté, souvent tragique, n'ont pas eu la chance de se construire une personnalité capable de réguler les affects à l'expression dévastatrice, n'ont pas trouvé sur leur chemin d'adultes  capables de les aider à se structurer. Tout au long de nos dialogues, en l'obseravant à l'oeuvre, tant au centre d'intégration qu'au centre de Merscheid, j'aurai amplement l'occasion de consolider cette première impression.

Tout le monde sait que Jean a eu une enfance et une jeunesse difficiles. Tout le prédestinait à suivre une pente dangereuse, mais à force de courage, de lucidité, et de persévérance, il a néanmoins réussi - brillament je le pense - à éviter les ornières jalonnant son chemin. Les épreuves de la vie l'ont aguerri, il s'est forgé une stature qui suscite, envers et contre tout, mon admiration sincère et force mon  respect.

Il traîne derrière lui la réputation de se montrer intraitable, de ne pas plier devant les hiérarchies et de proclamer sa vérité, même s'il risque de s'attirer les foudres de ses contradicteurs. S'il est vrai qu'il n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat, il n'en demeure pas moins vrai qu'il sait très bien juger dans quelle situation il lui est possible d'avancer ses pions. En fait, fin stratège, il jongle à merveille entre ton bourru et amabilité quelque peu forcée. Il est d'ailleurs le premier à en rire, avec ce rire de bon vivant, ce rire gras et explosif qui vous rend de bonne humeur et vous transforme un soupe-au-lait en bonhomme au demeurant fort sympathique.

Fort de son expérience, il croit à la résilience et refuse de se cantonner  à une attitude de compassion déresponsabilisante. Toujours prêt à soutenir les jeunes qui lui sont confiés, il ne cesse cependant de les remettre en face de leurs responsabilités, se démarquant ainsi d'une posture que je qualifierais de molle, assez usuelle chez les travailleurs sociaux. Comprendre, oui, accepter ou excuser en se référant à des déterminations sociales, culturelles ou psychologiques incontournables, jamais. C'est ce choix de l'ouverture et de la fermeture tout à la fois qui fait indéniablement le succès de ses interventions auprès des jeunes. Il faut l'avoir vu mener ses réunions quotidiennes avec les élèves du centre d'intégration ou discuter avec les jeunes du Päerd's Atelier pour se convaincre de cette capacité incroyable à être à la fois à l'écoute et à prendre le parti des jeunes, tout en n'omettant aucune occasion de rappeler les règles de la vie commune et les exigences découlant d'un dévoir de respect incontournable. Ce don, que l'on rencontre si rarement, explique sans doute aussi bien l'affection que lui portent ses protégés que le profond respect qu'il suscite auprès de ses collaborateurs ou des gens qui sont amenés à travailler avec lui.

Son style est direct es dénote souvent une sincérité dont on ne saurait douter. Cette fermeté mène cependant parfois chez lui à brusquer ses interlocuteurs et risque de provoquer de profondes blessures, voire des ruptures définitives. Il est le chef, tout le monde le sait et n'a qu'à en tirrer les conséquences qui s'imposent. Sa position à cet égard est assez ambiguë. Si officiellement il explique, main sur le coeur, qu'il privilégie en toute occasion une gouvernance fondamentalement démocratique, certains sourires - lorsque je le taquine à ce sujet - semblent indiquer qu'il n'est pas totalement dupe. Mais il faut bien reconnaître que quelqu'un qui a mis en oeuvre, sans jamais perdre de vue la ligne qu'il s'était tracée, un projet tel que Merscheid, qui au fil des années a pris une envergure importante et suscite non seulement de l'intérêt, mais aussi de l 'admiration, même au-délà de nos frontières, a bien le droit de se soucier pointilleusement de l'avenir de ses efforts, qui lui ont coûté beaucoup d'énergie, de renoncements, sinon de crises personnelles.

Car Merscheid est bien son enfant, qu'il choie de manière inconsidérée, dont il suit les moindres pas avec le regard d'un père anxieux du devenir de sa progéniture. Sans lui, Merscheid ne serait bien évidemment pas. Que n'a-t-il pas fait pour assurer le succès de son entreprise ?

Tout d'abord il a fallu l'idée, ensuite élaborer un concept qui tienne la route et finalement mobilier les ressources tant humaines que financières pour assurer sa viabilité. Il n'hésitera pas à aborder les plus hautes personnalités de l'Etat pour s'assurer leur concours, qui s'avérera d'ailleurs indéfectible. Il mobilisera et surtout fidélisera autour de lui tant de personnes, issues des horizons les plus divers, tant de fonctionnaires, peu habitués peut-être à être relancés de matière aussi assidue, tant d'associations et d'institutions aussi bien nationales qu'internationales, qu'il finira par donner vie à un projet auquel beaucoup n'auraient pas donné l'ombre d'une chance de réussite.

S'il s'avère déjà assez difficile d'initier la mise en oeuvre d'une telle action, il est assurément encore plus ardu d'en assurer la continuité. Deux vertus cardinales lui ont permis de mener à bien son entreprise, malgré les nombreux écueils rencontrés.

Tout d'abord, il s'est révélé être un administrateur tout à la fois efficace et efficient. Il a l'oeil à tout, vérifié les moindres détails, planifie minutieusement chaque étape, secondé - il est vrai - par un secrétariat aux ordres. A l'observer dans son travail de gestionnaire, on croirait parfois être en présence d'un manager d'un grand groupe du CAC. Combien de coups de téléphone passe-t-il par jour ? 50, 100, 200 ... incalculables de toute façon (Suite à de nombreuses conversations, il s'est résolu à installer un kit mains libres dans sa fourgonnette, une véritable abomination: en effet, son articulation laissant par ailleurs parfois à désirer, la mauvaise qualité de la communication et le fait de mâchonner à tout bout de champ une cigare rendent sons discours inaudible). Une deuxième compétence qui le distingue, c'est sa capacité à traduire en mesures bien concrètes les concepts qu'il a modelés.